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  • Photo du rédacteurJean-Noël AMATO

[Enquête] "Grosse fatigue épidémique de flemme"



30% des personnes qui ont participé à l'étude se déclarent "moins motivées dans tout ce qu'elles font, qu'il s'agisse d'activité physique, de travail, de sortir", précise Jérôme Fourquet. "On en a 45% qui précisent qu'ils traînent d'avantage les pieds qu'avant pour sortir le soir ou le week-end, et que l'appel du canapé se fait ressentir."

L'étude note également une fatigue psychologique assez importante, ressentie par un peu plus d'un tiers des Français interrogés.


L'hypothèse de la Fondation Jean Jaurès et de l'Ifop, c'est que "le Covid-19 a accéléré un état de fait qui était soit en gestation soit déjà présent, et qui a été amplifié par la crise Covid", explique le politologue. Il précise également que bien que la majorité de la population ne soit pas concernée par ce sentiment, il s'agit "d'une minorité significative".

Cette succession d’épreuves a fragilisé psychologiquement le corps social et l’a rendu moins résilient.

Un certain nombre d’indicateurs donnent à voir une fragilisation mentale de la société depuis la crise sanitaire. La plateforme Doctolib nous révélait avant l’été que le nombre de consultations de psychologues avait augmenté de 102% entre 2020 et 2021 et que le nombre de recherches de la requête « psychologue » et « psychiatre » sur le moteur de recherche du site avait augmenté de 69% et 48%. Un certain nombre d’infirmières et d’infirmiers scolaires alertent par ailleurs sur des taux d’anxiété et d’états dépressifs plus importants qu’à l’accoutumée chez la jeune génération dans les collèges et lycées.


Travail

Au travail ensuite, on constate cette instabilité émotionnelle. Le nombre d’arrêts maladie en France en 2022 a explosé, 42% des salariés s’étant vus prescrire un arrêt maladie cette année (un chiffre plus important qu’avant la Covid-19). Les troubles psychologiques et l’épuisement professionnel, principaux motifs des arrêts longs, sont désormais à l’origine de 20% des arrêts maladie, dépassant pour la première fois les troubles musculo-squelettiques (16%).


Avec « grande pénurie », l’expression que l’on a le plus entendue depuis cette rentrée et durant tout l’été est « grande démission », à savoir la grande démission des salariés français de leur entreprise. Le magazine Society, en a fait sa une, en se demandant « Et si on ne retournait pas au travail ? », comme Le Figaro, quand le magazine Usbek & Rica s’est demandé si nous ne sommes qu’au début du phénomène : « Grande démission : et si c’était que le début ? ».


Pourquoi ces nombreuses démissions, et notamment en France ?

  • Elles s’expliquent d’abord par un effet de rattrapage, les mouvements ayant été gelés ou très fortement ralentis durant les confinements.

  • Le dynamisme du marché du travail actuel, avec un assez faible taux de chômage, favorise également les démissions.

En effet, en période de reprise, les postes à pourvoir sont plus nombreux, donc de nouvelles opportunités d’emploi apparaissent, ce qui incite à démissionner pour négocier de meilleures conditions de travail, de meilleurs salaires, un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

Ces nombreuses démissions sont aussi le reflet d’un état de mal-être parmi les salariés français, qui disent plus que la moyenne des actifs européens être en manque de reconnaissance depuis plusieurs années déjà.


Ce contexte explique sans doute en partie pourquoi notre enquête montre que les actifs français sont moins enclins à se donner corps et âme au travail et qu’une forte minorité a clairement perdu en motivation. Depuis la crise sanitaire, si la majorité des actifs (51%) affichent une motivation inchangée, 37% se disent en effet moins motivés qu’avant dans leur travail.



Cette proportion d’actifs en baisse de régime au travail correspond à peu de chose près aux 42% d’actifs se déclarant plus fatigués qu’avant la pandémie après un effort physique et aux 35% d’actifs qui, d’une manière générale, sont moins motivés qu’avant dans leur quotidien. Au fil des questions, on voit donc émerger un bloc de 35% à 40% d’individus, dont le moral ou la condition physique ont été affectés depuis la pandémie.


La perte de motivation au travail touche davantage les jeunes actifs (46% des 25-34 ans), mais aussi les cadres (44%) et les professions intermédiaires (43%), contre 34% « seulement » parmi les employés et ouvriers, catégories dont on notera qu’elles sont moins concernées par le télétravail.


Si cette soudaine démotivation est intéressante à analyser, c’est que le travail représentait historiquement dans la vie des Français quelque chose de particulier et avait une dimension statutaire très importante. Or, si les Français demeurent attachés à leur travail, celui-ci occupe une place beaucoup moins centrale dans leur vie qu’au début des années 1990, la Covid-19 n’ayant fait qu’accroître cette perte de centralité, comme l’a montré Romain Bendavid. En 1990, 60% des sondés répondaient que le travail était « très important » dans leur vie. Ils ne sont plus aujourd’hui que 24% à faire cette réponse, soit un recul spectaculaire de 36 points en trente ans. Si la religion ou la famille ont également vu leur caractère très important dans la vie de nos concitoyens perdre du terrain, la chute, de l’ordre de 10 points, est sans commune mesure avec ce que l’on observe pour ce qui est du travail. Dans le même temps, la centralité des loisirs dans la vie des Français s’est renforcée de 10 points, cette progression produisant une inversion des normes.

Alors qu’en 1990, deux fois plus de sondés considéraient comme « très important » le travail (60%) par rapport aux loisirs (31%), cette hiérarchie est aujourd’hui renversée : 41% pour les loisirs versus 24% seulement pour le travail.


L’évolution des conditions et de l’organisation du travail n’est pas le seul paramètre qui a fait perdre au travail sa centralité. Si ce dernier a perdu de son importance dans la vie des Français, c’est également parce que le pays a été le théâtre d’un processus au long cours de diminution de la durée annuelle effective de travail. De manière assez mécanique, au fur et à mesure que les actifs ont passé moins de temps au travail, son importance et sa centralité dans leur vie ont reculé. Comme on l’a vu précédemment, la part de Français qui considéraient que le travail était « très important » dans leur vie est passée de 60% en 1990 à 24% cette année. Ce recul spectaculaire est à mettre en regard avec l’évolution de la durée annuelle effective de travail, qui, sur la même période, est passée de 1 814 heures à environ 1 600 heures – nous avons pris les chiffres d’avant 2020-2021, années affectées par les confinements et l’arrêt du travail pour cause de pandémie. Si l’on se base sur une durée hebdomadaire de travail de trente-cinq heures, cette baisse de 214 heures correspond à six semaines de congé gagnées en trente ans.



L’essor et le développement de cette société de loisirs au cours des dernières décennies n’ont pas que fait relativiser la place du travail dans la vie de nos concitoyens.

Ils ont plus globalement introduit une dévaluation de la valeur de l’effort. La dimension « sacrificielle » du travail et de l’effort qu’avaient en partage et le catholicisme (« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ») et toute une partie du monde ouvrier, qui s’est battu pour instaurer la fête du Travail le 1er mai, ne fait plus autant recette aujourd’hui. L’assertion selon laquelle « il faut souffrir pour réussir » coupe ainsi le pays en deux avec 51% d’adhésion et 49% de désapprobation.

Sur ce sujet, le clivage n’est ni éducatif (52% d’adhésion parmi les diplômés du second ou troisième cycle, contre 50% chez les titulaires du bac et 53% parmi ceux qui ne l’ont pas), ni sociologique (45% d’adhésion parmi les cadres et les professions intellectuelles versus 47% chez les professions intermédiaires et 48% auprès des catégories populaires).

Le « no pain, no gain » des Anglais semble en revanche nettement plus clivant selon l’âge.



Méthode

L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1.003 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 1er au 2 septembre 2022.



Sources

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